Indigènes

Publié le par yaneck Chareyre




Titre : Indigènes

Réalisateur : Rachid Bouchareb

Acteurs : Jamel Debbouze, Samy Naceri, Roschdy Zem, Sami Bouajila, Bernard Blancan…

Scénaristes : Rachid Bouchareb , Olivier Lorelle

Producteurs : Jamel Debbouze, Thomas Langmann, Muriel Merlin, Jean Bréhat

Date de sortie : 27 Septembre 2006

 

 

C’est l’une des responsabilités des artistes, que de véhiculer des idées. Un artiste qui n’a rien à dire, rien à partager, ne laissera généralement pas grand souvenir.

Rachid Bouchareb est un artiste. Et Indigène restera sans nul doute dans les esprits.

C’est un formidable travail de mémoire qui est fait là, un formidable travail politique.

Pour libérer la France, à la fin de la seconde guerre mondiale, il a fallut le sang et le courage des français des colonies. Français des colonies… une expression étrange. Ces hommes là n’étaient français que pour se faire trouer la peau. Le reste du temps ils restaient des « soldats indigènes ». Avec des droits différents de ceux des vrais français. Et peut-être encore plus le droit que les blancs d’aller se faire trouer la peau en première ligne.

 

C’est ce sacrifice que Rachid Boucharef voulait remettre dans les esprits, pour qu’enfin il ne soit plus oublié de l’inconscient collectif français. Les indigènes furent interdits de Champs Elysées lors de la libération de Paris. Ils l’avaient libéré, mais ils ne collaient pas dans le tableau. Ce n’étaient que des sous-hommes après tout. Ce film restaure bien cette violence morale faite aux combattants africains. Cette absence totale de considération, ce mépris latent mais permanent. Les bons sauvages en somme…

 

Je trouve ce film éclairant. Sur la période dont il traite, bien évidemment, mais aussi et surtout sur les décennies qui suivirent. Tout au long de ce film, une idée m’est restée en tête : « nous avons nous-même créé le FLN ». Pour deux raisons. Ce mépris, bien évidemment, qui ne peut pas rester supportable bien longtemps, et puis surtout par les raisons de leur combat… De Gaulle appelait les habitants des colonies à lutter pour la liberté. Sans réaliser que forcément, ces gens là comprendraient et garderaient cet idéal. Et qu’ils pourraient continuer à lutter les armes à la main pour lui. Car une fois la France libérée, ils redevenaient de purs sous-hommes colonisés, sans liberté, sur leurs terres. La décolonisation était un processus logique, je ne dis pas que la France aurait du conserver le maghreb sous sa juridiction. D’ailleurs, dans le film, entendre les officiers parler de « libérer la mère patrie », « notre terre », devant des sénégalais ou des algériens, prouve à quel point la décolonisation était une évidence. Mais par contre, je veux peut-être croire que la décolonisation aurait pu se faire sans la sale guerre en Algérie, si les français avaient été moins racistes. Peut-être pas, mais j’aime à croire cela en tous cas, après avoir vu ce film.

 

On peut même développer des pistes jusqu’à aujourd’hui. Combien de familles de maghrébins installés en France, vivent avec la présence d’un grand-père spolié et méprisé, qui a donné son sang pour la patrie, et s’est vu prendre sa maigre pension lors de la décolonisation des pays ? Combien de familles, qui vivent avec ces ressentiments comme poison quotidien ?

Et donc, combien de jeunes qui aujourd’hui ressentent le même mépris quand ils sont moins bien servis que les blancs en matière de travail ou d’éducation ? Pendant la guerre, les grades et les permissions n’allaient pas aux arabes, aujourd’hui c’est le travail et la réussite sociale.

Il est important de réfléchir à ces faits là, lorsque l’on aborde la question de l’immigration en France, et celle de l’intégration. Quelle reconnaissance la France a-t-elle eu ? Et si les allocations familiales n’étaient qu’un pis aller qui ne compense rien dans le fond ? (petite question pour ceux qui considèrent qu’un arabe vole les allocations des bons français.)

 

 

Ce film est donc une réussite. Il veille au devoir de mémoire, et il entraîne une réflexion plus large, sur l’histoire de notre pays, et même son actualité. Des œuvres comme celles-ci ne sont pas nombreuses.

Indigènes mérite donc pleinement d’être rappelé à tous. Et montré au plus grand nombre.


Publié dans Films de guerre

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B
Bonjour Yaneck. Ton article est très intéressant et je partage tout à fait ton avis. Dernièrement, j'ai chroniqué "L'Ennemi Intime" et je trouve qu'entre ce métrage et "Indigènes", les analogies sont nombreuses, principalement en ce qui concerne l'hypocrisie française lorsqu'il s'agit d'accepter nos responsabilités dans le processus de colonisation/décolonisation/intégration. (cf la loi du 23 février 2005 qui stipulait que les programmes scolaires devaient reconnaître en particulier le rôle positif de la France dans ce processus). Avec "Indigènes", un tabou semble être tombé. Lorsqu’un tel événement fait son apparition dans l’univers du cinéma, c’est qu’il est en bonne voie d’être assimilé et digéré. Il est néanmoins surprenant qu’un pays comme la France, si prompt à donner des leçons de morale au monde entier, ait attendu si longtemps pour faire face à ses responsabilités. Sous cet angle, même si le fond diffère un peu, prenons une comparaison : il ne s’est écoulé qu’une poignée d’années entre la guerre du Vietnam (1973) et un film dénonciateur comme "Voyage au bout de l'enfer" (1979 - ma référence absolue en la matière, de Michael Cimino), ou encore "Rambo" (1982) ou "Platoon" (1986). En revanche, une soixantaine d’années séparent la fin de la seconde guerre mondiale de "Indigènes". C’est dire à quel point les français ont persisté à se voiler la face. Bref, aujourd'hui, la récupération est idéologiquement correcte. Comme tu le dis très justement, il s'agit d'un travail de mémoire nécessaire, lié à un enjeu politique ô combien d'actualité. Sur le plan pédagogique, il faut conseiller expressément aux profs du secondaire (hist-géo, philo, français, etc.) de visionner "Indigènes" avec leurs classes, car il y a là un outil didactique très pertinent. Amicalement.<br /> Baccawine
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